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13 août 2012

Un petit rouquin au bord d’une rivière

Un petit rouquin au bord d’une rivière, assis là comme perdu dans les allées d’un supermarché, regardait les ragondins remonter le cours de la rivière. La petite fille blonde à ses côtés agitait ses pieds dans l’eau glacée en soupirant. Au loin, de grands immeubles entourés d’un nuage de pollution contrastaient piteusement avec le spectacle idyllique de cette nature intacte. Le rouquin jeta un caillou dans l’eau, puis deux. Nouveau soupir de la blondinette. Merveilleuses heures d’ennuis enfantines.

Le psy opina du chef à plusieurs reprises :

-          Et qui sont ces enfants que vous me décrivez ?

-          Je ne sais pas, lui répondit-il. Je n’en ai aucune idée.

-          Vous arrive-t-il fréquemment de rêver d’eux ? Est-ce ce que l’on appelle un rêve récurrent ?

-          Oui. Et ils sont toujours ensemble. Et ils sont toujours en train de s’ennuyer. Je ne vois que leur chevelure, jamais leur visage.

-          C’est intéressant… Si je vous dit le mot « chevelure », qu’est-ce que cela évoque en vous.

Bertrand pensait à des poils pubiens. Des poils pubiens, alors que son rêve porte sur des gamins, quelle horreur, il n’allait pas dire ça quand même. Il n’était pas un pervers, il devait y avoir autre chose.

-          Un… Un cheval. La crinière d’un cheval, prononça-t-il dans un soupir de soulagement.

-          C’est intéressant. Avez-vous un intérêt particulier pour les chevaux ?

La sonnerie du réveil indiquant la fin de séance retentit.

-          Merci M. Talbert. A la semaine prochaine.

Bertrand lui remis soixante-dix euros en liquide au creux de la main, puis franchit sans mot dire le pas de la porte déjà ouverte. Un cheval. Il aurait tout aussi bien pu dire un gnou. C’est une simple association phonétique. Il avait le sentiment qu’il payait un charlatan pour l’écouter gémir inutilement pendant une heure.

Il avait envie d’un bon café, bien fort, bien noir. Ce soir, il allait jouer au tennis avec Rodolphe et celui-ci n’allait pas lui faire de cadeau, pas un infime droit à la somnolence. Après s’être assis à la terrasse d’un café - moitié soleil, moitié ombre – il entreprit d’observer les passants : une longue jupe, une barbe de trois jours, une famille de touristes espagnols, le claquement des talons sur le pavé, une jeune fillette à bicyclette, un petit garçon roux. Une jeune fillette blonde à bicyclette rose, un petit garçon roux qui tenait un éclair au chocolat. Une fillette blonde, un petit garçon roux.

-          Bonjour monsieur, qu’est-ce que ce sera pour vous ? interrompit bruyamment le serveur, interposant son tablier entre Bertrand et ce spectacle incroyable.

-          Un… Un café, bien fort, bien noir. Double expresso. Vous pouvez vous pousser s’il vous plait ?

Bertrand n’en revenait pas : la petite fille et le garçonnet roux de son rêve se tenaient là, à quelques mètres devant lui, elle descendue de son vélo, lui dévorant son éclair, tous deux accoudés à la fontaine publique. Ils faisaient mine de ne pas se connaître, mais lui savait.

Le serveur déposa son café sur la table en verre et attendit d’un air perplexe que Bertrand, qui ouvrait de grands yeux en fixant la fontaine située face au troquet, ne lui jeta d’un air distrait la monnaie nécessaire. Qu’est-ce que cet homme pouvait donc observer avec tant d’insistance, les yeux comme vissés à quelque évènement extraordinaire ? Le serveur ne vit rien qui ne lui parut particulier et se dirigea vers la table suivante en haussant les épaules.

Pourquoi faisaient –ils semblants de ne pas se connaître ces gosses ? C’était elle, c’était lui, il en était sûr. Fallait-il leur dire ? Les observer ? Ou bien… Une colère noire s’installa insidieusement en Bertrand, raidissant ses muscles, courbant son dos… Les petits fumiers, ils mentent à tout le monde. Moi, je sais la vérité. Ils mentent à tout le monde. Des images venaient naturellement à ses yeux. Une tête d’enfant dans chaque main, leurs petits minois en train d’étouffer dans la glaise humide au bord de cette foutue rivière. Une main sur chaque tête, les doigts enroulés dans les mèches blondes d’un côté et les mèches rousses de l’autre. Une main sur chaque tête, ce ne serait pas bien long.

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Commentaires
K
Promis, je ne me mange pas les enfants.
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